Comme l’explique le cabinet Axe Réseaux sur son site : « La master franchise lie le franchiseur au master franchisé, auquel est concédée une exclusivité territoriale, généralement à l’échelle nationale ou régionale et peut s’organiser sous forme d’un sous réseau de franchise contractualisé par des franchisés locaux indépendants. Le master franchisé devient alors le franchiseur local qui est l’unique intermédiaire des franchisés de sa zone. Ce contrat est généralement d’une durée minimum de 10 ans, afin de pouvoir garantir au partenaire, un retour sur investissement. »
Vincent Bouchendhomme vous êtes à la tête de dix boutiques Palais des Thés en Belgique, et vous Arthur de Saint Mars, master franchisé pour Island Poké, en charge de la gestion de 12 restaurants tricolores. Comment l’aventure a t-elle démarré pour vous ?
Vincent Bouchendhomme : Mes associés et moi-même avons ouvert une première franchise sous enseigne en 2001, mais sous le modèle de la concession, à l’époque. Avant d’ouvrir une seconde adresse en 2007 puis de s’implanter à Liège en 2010, à savoir que là encore, on parlait de concessions nationales. Jusqu’à démultiplier nos forces pour ouvrir une 10ème boutique sur le territoire, il y a maintenant quelques mois. En réalité, ce statut diffère selon les enseignes car si pour certains master franchisés cette mission inclut d’accompagner des (nouveaux) franchisés, je gère ces boutiques avec mes associés et avec nos propres salariés. Autrement dit, nous ne les avons pas franchisées derrière !
Arthur De Saint Mars : Avant de rejoindre Island Poké, (bar à salades) en tant que master franchisé, qui recense 32 restaurants dont 20 au Royaume-Uni, j’étais de l’autre côté de la barrière. J’étais déjà franchisé chez Sushi Shop à Lyon, à la tête de deux restaurants. L’enseigne a ensuite été racheté en 2018, avant que je ne signe avec Island Poké en 2019, qui a acquis une certaine notoriété à Londres, avec une vingtaine d’adresses sur le territoire déjà. J’ai ensuite ouvert le premier restaurant français de l’enseigne à l’été 2020 à La Rochelle, avant d’en ouvrir 12 autres par la suite, partout en France avec des partenaires franchisés qui sont maintenant soit un seul site soit plusieurs. J’avais surtout envie de faire ce qu’un franchisé ne fait pas, c’est-à-dire gérer la partie marketing, communication, développement, soutien et animation de plusieurs sites. Et apporter mes connaissances locales et nationales à mon franchiseur.
Par quelles étapes êtes-vous passé pour accéder à ce statut ? Et comment avez-vous convaincu votre franchiseur de vous laisser les rênes ?
V.B : Il est important d’avant tout miser sur une stratégie de développement prudente et de tester l’adaptabilité d’un magasin, l’un après l’autre. Mes associés et moi-même avons d’ailleurs attendu 6 ans avant de faire le grand plongeon, tant le marché du thé et de l’épicerie était balbutiant à l’époque et la marque peu connue en Belgique ! Nous nous sommes également d’abord entourés de revendeurs pour lui donner de l’écho sur le territoire. Nous avons donc acquis ce statut de master franchisés avec le temps. Quant aux arguments qui ont convaincu le franchiseur, c’était le plan de développement à la signature et la réussite des 4 premiers points de vente. Mais la confiance mutuelle avec le franchiseur compte pour beaucoup aussi dans cette aventure !
A.D : Il n’y a pas vraiment de stratégie. Ce qu’il faut, c’est avant tout connaître le système de franchise. Mais aussi bien identifier en amont l’enseigne avec qui on va s’engager et la valeur ajoutée qu’elle apportera sur votre nouveau marché. Comme réfléchir à la création d’une ou plusieurs offres complémentaires pour adapter le concept au marché et aux attentes consommateurs. Quitte à changer certains produits d’un marché à l’autre, par exemple. Mais surtout, d’avoir en face un interlocuteur souple sur la question aussi de l’adaptabilité des codes de son concept.
Quels sont vos conseils pour bien exercer ce rôle, justement ? Et quels sont les prérequis nécessaires, selon vous, pour gérer autant de points de vente sur un territoire non conquis par la marque au départ ?
V.B : Il faut être convaincu par le produit en lui-même et par les services que l’on veut développer, en plus d’avoir une excellente entente avec le franchiseur. Et de disposer de moyens financiers importants. Comme d’une expérience confirmée dans la gestion des ressources humaines. Notamment pour pouvoir rapidement monter des équipes compétentes en point de vente. Et connaître le tissu commercial où vous vous implantez. Ce qui implique aussi d’aller se faire connaître des agents immobiliers sur place. Et d’avoir une ou plusieurs banques qui vous soutiennent. Surtout si vous souhaitez développer des capitaux. Et puis, c’est accepter de croître palier par palier, sans être trop gourmand au départ. Je me souviens qu’au début la clientèle prenait Palais des Thés pour un salon de thé. Elle n’imaginait pas qu’en réalité, on faisait de la vente au comptoir. Il faut donc s’engager en toute connaissance de cause. Surtout quand ici, le premier enjeu était de réussir à fidéliser !
A.D : On ne peut pas faire un copier-coller de toutes les solutions présentes d’un territoire à l’autre. Boissons, desserts, ingrédients des bowls, il faut avoir conscience du fait qu’il faut parfois tout reprendre à zéro pour coller au terrain. C’est très différent du statut de franchisé que j’avais avant, par exemple. Ici, en tant que master franchisé, je suis bel et bien dans la transposition du concept, alors que la mission du franchisé est d’appliquer, soit reproduire la recette qui a fait, et fait le succès de l’enseigne. Ce qui a d’ailleurs été source de tensions au départ avec lui.
Quels sont les erreurs et les pièges à éviter avant et après la signature du contrat ?
V. B : Pour ma part, j’avais déjà connaissance des modalités contractuelles. Mais il faut bien avoir le cadre en tête : tout ce que l’on peut et ne peut pas faire. Les enseignes internationales sont souvent multicanales par exemple. Il faut donc être regardant quant à la partie e-commerce et anticiper les coûts de transport de la marchandise aussi. C’est même déterminant sur le choix du pays en question, limitrophe ou non du siège de l’enseigne. Parfois même, les maisons-mères gardent pour elles la partie e-commerce. Et l’on ne peut pas non plus être présent dans tous les pays sur le e-commerce. Enfin, l’une des erreurs les plus communes que font les Français envers le marché belge est de croire qu’il est identique au marché français et d’y arriver comme en terre conquise. Or, on n’y parle pas la même langue, les taxes n’y sont pas les mêmes et la clientèle y est encore plus diversifiée. Sans compter le coût de la masse salariale car ici les charges sont plus élevées qu’en France. Il faut donc bien connaître le système juridique et fiscal du pays qu’on cible. La Belgique étant aujourd’hui plus favorable aux employés qu’à leurs employeurs.
Dernier point, anticiper les débordements en apprenant à déléguer et à s’entourer des ressources suffisantes en interne quand on se retrouve multitâche sur une boutique. Et que l’on a plus le temps d’être sur le terrain, en surface de vente. Ce qui veut dire qu’il faut pouvoir s’appuyer sur un pôle comptabilité par exemple et de divers responsables magasins. Encore plus que si l’on était à l’échelle du chef d’entreprise et/ou d’un multi-franchisé ! Tout en continuant à visiter les boutiques, à animer la partie commerciale, le merchandising et la formation. Car on passe alors de commerçant à responsable des ressources humaines et administratives. Avec tout ce qui est aussi lié au respect de l’hygiène et aux questions de RSE d’une marque.
A. D: Au-delà de bien lire le contrat, qui peut également être négocié par le futur master franchisé si besoin et de poser toutes les questions nécessaires qui ôteraient le doute avant de démarrer son projet, je parlerai plutôt de responsabilités supplémentaires. D’attention et de vigilance à l’égard du réseau. Ce rôle nécessite de prendre en compte les attentes des franchisés en matière de communication locale, de développement des produits (ce qui s’est aussi complexifié avec le Brexit), ou encore de valoriser les circuits courts pour l’approvisionnement des restaurants. Enfin, le ou les master franchisés deviennent les bras droits du dirigeant, ce qui fait que, même si le franchiseur a déposé sa marque au niveau européen, c’est à nous de veiller sur le respect des codes du concept au sein du réseau et de surveiller le marché pour qu’il ne soit pas copié. Il m’est arrivé, il y a quelques temps, de devoir envoyer des e-mails à des opérateurs qui utilisaient notre marque ou notre nom pour tenter de créer du flux chez eux. On est donc parfois obligés de faire les gendarmes en local.