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Retail et prêt-à-porter : le déclin avant le renouveau ?

Comment expliquer le déclin des enseignes françaises de prêt-à-porter, pourtant historiques dans le paysage français de la mode ? Par la hausse de l’ILC en centre-ville et en centre commercial, mais aussi par de nombreux problèmes de trésorerie de grands groupes retailers, ou encore d’une logistique et de processus de supply chain vieillissants. Décryptage de la situation avec Jérémie Herscovic, fondateur de SoCloz, plateforme omnicanale de solutions pour retailers.

Cop.Copine, Kookaï, Go Sport, Camaïeu, San Marina, mais aussi Don’t Call Me Jennyfer, comment expliquer le déclin de toutes ces enseignes du secteur de l’équipement de la personne et plus précisément du prêt-à-porter ?

La première explication, par rapport à ce que j’ai pu observer chez mes clients, chez SoCloz que j’ai fondé en 2010 et qui édite des solutions pour équiper les enseignes physiques de parcours omnicanaux, est selon moi numérique. Dans le sens où, si l’on a le sentiment que de plus en plus de marques du prêt-à-porter tombent, c’est parce qu’historiquement le retail physique organisé représente au moins 50 % d’enseignes de mode. Ensuite, il y a des difficultés qui atteignent leur apogée, sous-jacentes au départ et qui se sont accentuées d’année en année. Avec l’augmentation du prix du marché immobilier qui augmente de 5,5 % depuis 40 ans pour 1 000 euros du mètre carré et qui fait que la part des dépenses des ménages, dans l’immobilier, s’est justement décuplée. Et a influé, et influe toujours sur les autres postes de dépenses, dont l’alimentaire et les achats plaisir. Et le retail donc.

On note aussi l’émergence d’acteurs de taille, comme Amazon (et autres), qui posent problème aux distributeurs. Là encore tout dépend de la nature de votre modèle économique : si vous êtes marque-enseigne ou enseigne-distributrice, et des produits que vous proposez. À savoir que les jouets ou les produits techniques souffrent de cette concurrence avec ce géant. Comme Surcouf (chaîne de magasins d’informatique) ou encore Virgin, par exemple. De ce fait, ou bien la marque n’est pas assez forte pour maintenir le cap, ou alors cela veut dire qu’elle ne propose pas les produits les moins chers du marché. Et pour enfoncer le clou, la crise sanitaire qui a financièrement fragilisé les commerces, contraints d’être à l’arrêt. Ou encore démocratisé le télétravail qui a impacté le retail physique, ralentissant la visite en magasin et les achats d’impulsion. Et puis la hausse des coûts multiples avec l’inflation qui modifient les comportements d’achats autour de divers arbitrages budgétaires. C’est notamment ce que j’ai remarqué chez mes clients, car même l’intention d’aller en magasin via le Web, pourtant porteur d’ordinaire, est en déclin !

À ce tableau s’ajoutent aussi deux autres facteurs : la capacité (ou non) d’équilibrer le trafic provenant de ses canaux de vente (Internet/vente physique) quand on sait qu’aujourd’hui l’offre doit se mettre au niveau de la demande. Et pour finir, un effet conjoncturel, avec la capacité ou non à gérer sa trésorerie interne, notamment quand on détient plusieurs marques, à l’image de Michel Ohayon. Il n’est d’ailleurs pas impossible que d’ici deux ans, puisque tout le monde tente aujourd’hui de manger sa part du gâteau, que le paysage du retail soit totalement transformé. Avec des marques qui, d’ici là, arriveront peut-être à mieux s’exprimer. Mais en aucun cas le Web ne tuera ces commerces. 

Cela veut-il dire, au-delà de l’aspect marges et trésorerie, que les offres proposées sur le marché ne sont plus en phase avec les attentes des consommateurs et que les retailers doivent se réinventer ? Dont les franchises, pour (re)conquérir leurs cibles ?

Nous aurons toujours des marques avec de la valeur ajoutée. Ni les fondements du retail ne changent, ni les motivations des consommateurs pour passer à l’acte d’achat. Une enseigne mise soit sur la singularité de son ADN et de son histoire, soit sur la qualité de ses produits, ou de ses services. Car ce qui compte aux yeux des clients, c’est le rapport qualité-prix. Mais on assiste aussi, et l’inflation leur profite, à l’émergence d’acteurs du destockage ou à l’inverse, de marques plus jeunes dotées d’un storytelling plus moderne avec des compétences en e-commerce bien maîtrisées. L’offre a également évolué avec le passage à l’ère de l’omnincanalité. Il est même frappant de constater que, si toutes les enseignes ont connaissance de ces enjeux, toutes n’ont pas encore entamé le virage. Et que toutes ne se sont pas encore équipées pour. Le but étant pour elles d’offrir une expérience sans coutures au consommateur. Faites-en l’expérience : dans la plupart des cas, la e-réservation suscite un acte d’achat, que vous n’auriez pas fait si vous n’aviez pas eu accès à ce service en amont. Les marques doivent donc investir dans le Web et dans des stratégies de ship to store pour conserver leur modèle économique. Et rester préférentielles. Enfin, il y a l’enjeu de l’unification des stocks. D’une part pour satisfaire plus vite le client et de l’autre, pour avoir une vision globale des produits disponibles sur et pour un réseau magasin. Enfin, gagner du temps, des mètres carrés de superficie de stockage et donc, faire des économies. Ce qu’ont déjà adopté certains chausseurs, par exemple. 

La hausse de l’ILC affecte tous les commerçants. Même ceux qui avaient les plus belles adresses. Quelles sont vos recommandations pour continuer à attirer la clientèle mais aussi les investisseurs face à la hausse du marché foncier ? Que pensez-vous de l’idée de mettre en place des kiosques ou la location de baux éphémères ? Faut-il aussi quitter ses emplacements phares pour survivre ?

L’effet locomotive a autant d’avantages que d’inconvénients. Mais la tendance actuelle est de s’implanter là où ‘les autres’ ne sont pas présents, selon le positionnement défendu par ladite enseigne. Notamment sur l’univers du textile. Pour éviter la concurrence directe et la saturation d’une zone en particulier. Et puis, avec l’avènement du e-commerce et du commerce unifié, elles sont (enfin) en capacité de réduire leur parc de magasins. Et se retirent des emplacements où le foncier est trop élevé et où le seuil de rentabilité de(s) point(s) de vente est mauvais. Je pense notamment à La Halle et à Pimkie, par exemple. D’ailleurs, c’est avec l’omnicanalité que les retailers pourront compenser. On sait aussi que les ventes sur Internet d’une enseigne sont plus fortes dans les zones qu’elle ne dessert pas physiquement (dépourvues de ses magasins).

On parle de crise, d’investissements colossaux mais aussi de magasins expérientiels et de retailtainment. Faut-il investir dans des concepts magasins avec des parcours client personnalisés, hors secteur du luxe ? Ou dans des points de vente spectaculaires, à l’image de nos voisins japonais ou américains, par exemple ? 

Dans un contexte d’incertitudes comme celui-ci, les marques sont très attentives aux attentes et aux demandes des clients, très à l’écoute de l’opinion qu’ils se font de leurs produits. De là à s’investir dans une démarche personnalisée à leur égard, c’est plus complexe. Bien qu’elles disposent déjà d’outils de marketing automation (newsletter, mail d’avis client) et sont de plus en plus digitalisées, elles n’ont pas toujours les effectifs nécessaires en interne pour le faire. Autre élément de réponse : il est vrai que les retailers se tournent de plus en plus vers des magasins immersifs. C’est déjà le cas de la boutique Nike de New York qui dispose d’un terrain de basket, par exemple. Le magasin devient donc, l’expression de l’ADN de la marque. Amplifié par le fait que le e-commerce n’offre pas cette dimension sensorielle. Et puis, le retail américain, dont le positionnement est différent, n’est pas mieux que le français. 

Peut-on alors parler de différences ou d’équivalences entre nos marchés ? Peut-on aussi déjà s’en inspirer ?

Force est de constater que les retailers américains ne sont pas très bons en matière d’omnicanalité. Mais le marché étant beaucoup plus gros, certaines enseignes peuvent se permettre d’y ouvrir des flagships dans des lieux très exposés. Mais en réalité, ces adresses là ne sont pas si nombreuses que ça là-bas. Les Américains ont aussi pris de l’avance sur le e-commerce mais ne l’ont pas conservée. En outre, nous ne sommes pas soumis aux mêmes contraintes, ni aux mêmes règlementations. Rien que sur la question de l’utilisation des TPE en point de vente, sur l’encadrement du RGPD, des antivols RIFD, du fait qu’on ne puisse pas faire son encaissement seul ici, ou encore du montant des charges.

Il est difficile de se comparer objectivement à nos voisins, puisque nos consommateurs n’évoluent pas du tout dans le même contexte socio-économique. Et pour en revenir au déclin des enseignes tricolores, je pense aussi qu’il faut arrêter les décryptage fatalistes. Internet ne tue pas les magasins et les magasins physiques seront toujours là. Nous aurons simplement moins de marques et moins d’acteurs, autour d’une concurrence moins acerbe, qui se tourneront vers de nouveaux investissements. Et les réseaux du commerce organisé, et les franchise l’ont bien compris, étant très enclines à devenir omnicanales !

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